En mars dernier, alors que nous étions une dizaine en pleine découverte du fonctionnement d’une ruche dans le Varois, je suis la seule à me faire piquer. La piqûre est furtive. Elle me surprend tellement que je pousse un cri d’alerte. Je n’ai même pas le temps d’apercevoir l’abeille sur mon bras. Elle n’y laisse pas son dard. Mon bras rougit autour de la piqure mais je me rends compte très vite que ce n’est pas grand chose. Cela ne gonfle pas, je suis calme et apaisée, tout le monde est calme autour de moi.
Ce décalage de ce qui s’est passé en moi au moment de la piqûre et l’apaisement qu’elle me procure m’interpelle. Était-ce vraiment une attaque ? A aucun moment les abeilles n'étaient en danger. L’apicultrice les a nourries. Nous étions dix à les observer de la même manière, à la différence que j’étais la seule à tenter de prendre leur reine en photo. Était-ce un message d’alerte ? “Toi qui nous observe, apprends à nous connaître avant de nous figer dans ta modernité.” Elles n’ont pas tort. Même si je revendique haut et fort l’usage de la photographie pour entrer en relation avec les êtres vivants, la photographie ne doit pas se substituer à une vraie rencontre, de corps à corps, de cœur à cœur. Si les abeilles sont mes alliées (et elles le sont), j'interprète leur message comme une alerte pour me rappeler de ne pas me tromper de but, de ne pas me focaliser sur des objectifs futiles (comme celui de saisir absolument l’image de leur reine plutôt que de la rencontrer vraiment) et qui m'attireront forcément quelques contrariétés (comme celui de se faire piquer). L’abeille qui m’a piqué serait-elle alors seulement la messagère, reliée à la toile des mondes vivants qui comptent sur moi (et sur tant d’autres) ?
D’autres significations à la piqûre sont possibles. Je les explore à l’aide de mon esprit grandement imaginatif. Était-ce un réveil ? Était-ce un baiser ? Était-ce un choix délibéré de cette abeille, pleine de curiosité, de venir me rencontrer ? Ou juste un instinct au service de quelque chose de plus grand ? Est-ce moi, par ma profonde intention de rencontre avec toutes les formes de vie sur Terre, qui ai provoqué la piqûre ? Tellement de sens sont possibles. Aucun ne constitue une vérité à trouver mais tous ont un effet majeur, celui de me sentir reliée, connectée, importante aux yeux de ce qui compte le plus : la vie, incarnée ici par une petite abeille domestique du Var, animée d’une animalité particulière. Celui de me sentir vivante parmi les vivants.
Ah que ça me fait du bien d’écrire ces lignes ! De faire jaillir ce baiser, si intime, hors de moi, de la traduire avec les mots que je trouve et de créer du sens tant bien que mal, intelligible, à qui voudra bien l'accueillir.
Dans mon obsession de trouver du sens au comportement de l’abeille, je suis allé chercher dans les croyances chamanistes et animistes, sur lesquelles je lis beaucoup en ce moment. J’y ai trouvé plein de possibilités. Mais d’aucune ne tient sur des faits, d’aucune n’est vraiment satisfaisante puisqu’aucune ne contient une vérité applicable dès qu’une abeille vous pique. J’ai abandonné mes recherches en comprenant une composante fondamentale de ces croyances : même si nous pouvons lire et nous nourrir de leurs récits pour inventer du sens dans nos relations aux êtres vivants, rien ne remplace l’expérience de se questionner soi-même et de laisser jaillir ce qui arrivent de la profondeur de notre être pour tenter de “traduire l’intraduisible”.
Ecris le 17 mars 2021
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