Depuis deux ans, je vis avec un animal. Il rampe sous ma peau. Il habite mon âme.
C’est un petit renard qui a trouvé sa place, qui s’est moulé dans la coquille dépoussiérée de toutes les choses auxquelles je croyais tenir. Les constructions sociales. Les habitudes héritées. Tenant longtemps les rênes de mes pensées et violentant mon être profond.
Depuis presque deux ans, je vis au gré des cycles de ce petit animal. Je le sens se mouvoir. Je le nourris quand il a faim. Je m’éteins quand il s’endort.
Tous les jours il me fascine. Car il est endurant. Il va chercher loin ses ressources et il me laisse le suivre. Près de lui la vie est moins triste car la sienne est un jeu. Il cherche l’autre en permanence. Il le teste. Il teste la fidélité de ses compères, chien et chat, et les failles de ses proies, rongeurs et oiseaux. Près de lui, chaque instant m’invite à me saisir d’une nouvelle idée, à la laisser s’installer et la rendre vivante, la laisser changer de forme et la laisser partir avant qu’il soit trop tard et que l’idée se saisisse de moi.
Je me rend compte qu’il se joue aussi de moi, car il n’a aucune règle. C’est un opportuniste. Il prend tout ce qui trouve et abandonne volontiers ce qui pèse trop lourd. Car mon renard n’est pas fort, il est stratège. Toute la forêt le nourrit, c’est de là que tient sa survie. Pour lui, le temps n’est pas mauvais, les ressources ne sont pas rares. Les changements sont une invitation à faire autrement, explorer d’autres territoires, s’entourer différemment. C’est un grand solitaire mais il n’est jamais seul. Un jour il chasse la souris, le lendemain il lui dit qu’elle est belle. Alors souvent, il me fait perdre l’idée de moi-même.
Pourtant je ne peux me défaire de l’élégance de ses mouvements et de sa couleur qu’on lui envie, tantôt brûlante d’un orange vif, tantôt sage d’un blanc fantastique. Il sait qu’on l’adule, jusqu’à ce qu’on le traque. Alors il s’en va. Sa solitude est la vastitude de son univers. Plus il est seul, plus il s’enrichit des mondes qu’il explore. Aucun parasite. Aucun chemin à suivre. Ses guides sont l’odeur des prés fleuries qu’il traverse entre deux lisières boisés. Sa mère est la rivière qui le laisse s’abreuver de son eau. Son père est la nuit qui entretient ses mystères. Ses enfants sont les traces de ses pas qui guident à leur tour vers les mondes variés qu’il rassemble.
Mais ce que j’apprécie le plus chez lui c’est quand il arrête de courir. Quand il met de côté son besoin effréné de vivre intensément pour se laisser aller à la contemplation. Il me fait ce cadeau parfois. Il s’arrête quelque part parce qu’il y trouve un certain réconfort. Un lieu. Une idée. Une personne. Et se passionne ainsi de me voir si heureuse à en explorer les contours.
Puis s’ouvre une nouvelle route et il se remet à chasser...
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